Un Messie destiné à tous


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Adoration des mages, Baptistère de Florence XIIIe s.
...Les mages viennent à Jérusalem, prêts à interroger la sagesse d’Israël, la sagesse révélée, pour voir leur attente comblée...

ÉPIPHANIE (6 janvier)

De Noël à l’Épiphanie, de la présence à la manifestation: voilà le mouvement selon lequel la liturgie de l’Église nous conduit. À Bethléem, Jésus a été mis au monde par Marie, la femme de Nazareth, l’épouse de Joseph, la pauvre fille d’Israël; et les bergers, accourus à la parole que leur a adressé l’ange, ont vu «un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une mangeoire» (Lc 2,7.12.16). Oui, Jésus, le Sauveur, le Christ Seigneur, est désormais une présence au milieu de son peuple: né à Bethléem, la ville de David, il est le descendant de David à qui revient le titre de Messie, de Roi des Juifs! C’est précisément l’évangile selon Matthieu, pourtant si enraciné dans le terroir judaïque, qui met en évidence le fait que, certes, Jésus est juif, il est celui qui accomplit la promesse faite à Abraham, mais qu’il est aussi destiné à toute l’humanité, qu’il doit donc être révélé à tous les peuples, aux goïm, aux païens.

Nous connaissons bien le récit de l’évangile (que ne rapporte que la narration matthéenne: Mt 2,1-12), bien présent, depuis toujours, dans la tradition spirituelle et liturgique chrétienne et capable, toujours à nouveau, d’étonner le coeur des croyants. De l’Orient, la terre de la sagesse des peuples, quelques sages (leur nombre n’est pas indiqué ni le fait qu’il se soit agi de rois) viennent à Jérusalem, la ville sainte des Juifs, comme en pèlerinage. Eux n’appartiennent pas à la descendance d’Abraham, ils ne sont pas parmi les héritiers de la promesse, ils ne connaissent pas le Dieu vivant et vrai, ils ne sont pas circoncis, et ne font donc pas partie de l’alliance qui a pour signe cette inscription dans la chair; ainsi, dans leur voyage, ils ne sont pas guidés par la parole de Dieu. Mais leur recherche de Dieu, leur lutte anti-idolâtre, leur manière de penser, de méditer, de scruter la nature, leur donne la possibilité d’une lecture visionnaire, qui les porte à suivre le signe entrevu dans la lumière d’une étoile. Car même une étoile peut indiquer un chemin... Obéissant à la conscience que leur recherche leur a fait acquérir, ils viennent à Jérusalem, prêts à interroger la sagesse d’Israël, la sagesse révélée, pour voir leur attente comblée. Les grands prêtres et les scribes, dépositaires de la capacité et de la mission d’interpréter les prophéties, répondent, en vérité, de façon infaillible, même s’ils restent, quant à eux, dans l’obscurité, aveugles face à l’accomplissement de l’événement messianique, troublés et aveuglés, tout comme Hérode. Les Écritures témoignent que le Roi des Juifs doit naître à Bethléem; et les mages, toujours obéissants, mais non plus seulement à leur recherche humaine, désormais, mais aux Écritures d’Israël, atteignent la maison où, une fois entrés, «ils virent l’enfant avec Marie, sa mère» (Mt 2,11). Eux aussi, comme les bergers, voient une réalité tout humaine et pauvre. Mais cette réalité est une révélation, c’est une manifestation, c’est une épiphanie qui provoque l’adoration et l’offrande.

Cette épiphanie, qui rejoint les peuples païens à travers les mages, souligne la primogéniture d’Israël, et elle ne l’annule pas: car aux Israélites appartiennent «l’adoption, la gloire, les alliances, ... les promesses et d’eux, surtout, est issu le Messie» (cf. Rm 9,4-5). Mais elle met aussi en évidence le fait que l’enfant est destiné, comme bénédiction, à tous les peuples, à toute l’humanité. L’universalité de la bonne nouvelle est immédiatement affirmée, au moment déjà de la naissance de Jésus; l’épisode des mages apparaît comme une prophétie qui s’accomplira dans l’histoire de l’Église, lorsque l’Évangile atteindra toutes les nations, toutes les cultures des peuples. Toutes les cultures et les traditions des peuples comportent, disséminées en elles, des signes, des traces de la parole de Dieu: ce sont «les graines» de la parole. Dans les cultures, l’Esprit Saint répand son souffle, qui a guidé les hommes sur des chemins de lutte anti-idolâtre, les a animés dans leur recherche de sens. En tous lieux, en tous temps et dans toutes les cultures, l’homme, en effet, est marqué par une identité substantielle et il porte toujours en soi l’image de Dieu, qui ne peut jamais être niée ou annulée.
L’Épiphanie est alors le rappel que Jésus, le Messie, le Fils de Dieu et Fils de l’homme, est destiné à l’humanité entière et que celle-ci est capable de le reconnaître au point de participer de l’héritage d’Abraham: la bénédiction de Dieu. Mais l’Épiphanie comporte aussi un avertissement pour les chrétiens: on peut être connaisseur de la Parole, voire chargé de l’interpréter, et rester dans l’aveuglement, lorsque l’on se nourrit d’autosuffisance, de mépris pour les autres, les non chrétiens, et quand on refuse de s’ouvrir à l’écoute des autres. On peut être expert à garder le trésor des Écritures saintes, on peut être fier de ses certitudes de foi, et, tout à la fois, ne pas reconnaître que Dieu agit dans notre aujourd’hui. Oui, parfois les étrangers, les «autres», prennent notre place et ce sont eux qui accomplissent la volonté de Dieu!

Enzo Bianchi
Tiré de Enzo Bianchi, Donner sens au temps, Bayard, 2004.