Organisé par le Monastère de Bose et par l’Office national des Biens Culturels Ecclésiastiques de la Conférence Épiscopale Italienne, le XIIe Colloque Liturgique International de Bose aura pour thème : Liturgie et cosmos et se consacrera à l’étude des fondements cosmologiques de l’architecture liturgique. Le rapport entre l’édifice-église et la création ne peut en effet se limiter à la problématique, certes décisive, de la éco-durabilité ; il exige un approfondissement des raisons théologiques et anthropologiques. On inaugure ainsi un triptyque qui conduira les deux prochains colloques à affronter les thèmes de la lumière dans l’espace liturgique, puis de la voix et du son.
La sensibilité écologique actuelle exige une relation nouvelle et différente entre l’homme et le cosmos. Il n’est en effet plus possible de penser l’être humain sans l’enraciner dans les grands flux de la vie et, plus globalement, dans sa relation avec l’univers tout entier. En effet, “l’homme et la nature peuvent être introduits dans un mouvement de naturalisation et d’humanisation réciproque, dès lors qu’on abandonne l’idée d’un centre unique” (J. Moltmann). Pour renouveler le lien entre l’humain et la nature, les seules dimensions biologique et scientifique ne suffisent pas, il faut aussi recourir à la dimension spirituelle. La crise écologique invite à changer le paradigme : l’anthropocentrisme de la modernité a conduit l’humanité et la terre aux limites du développement durable. En régression vers le chaos, la planète est toujours plus défigurée car l’humanité occidentale moderne manque d’une “cosmologie vivante”, ou, en d’autres termes, d’une représentation du monde qui intègre science, religion et art, c’est-à-dire savoir, spiritualité et esthétique. Pour cela, il faut plus que jamais passer d’une vision fragmentaire d’un cosmos en proie au pouvoir de l’homme, à une vision globale, qui est d’ailleurs aussi ce que proposent les nouvelles théories scientifiques et les traditions philosophiques et religieuses.
Divers courants écologiques en quête d’une sorte de “communion” avec la terre et, à travers elle, avec le cosmos tout entier, se mettent souvent à l’école de la sagesse traditionnelle des peuples et des religions. Parmi ces dernières, le christianisme occidental est souvent accusé d’être à l’origine de la modernité technoscientifique. “Dans la piété populaire et dans bon nombre d’écrits théologiques, la foi chrétienne apparait, sinon hostile, du moins assez étrangère à une considération positive de la nature” (John McCarthy).
Dans cette optique, il apparaît urgent de retrouver la dimension cosmique de la foi chrétienne ; pour cela, il faut prendre clairement conscience des effets pour le moins problématiques de la réduction anthropologique qui a fini par marquer en profondeur même la compréhension théorique de la liturgie et son expérience, et n’a par conséquent pas épargné non plus l’architecture liturgique, elle aussi essentiellement anthropocentrique.
La liturgie chrétienne dans le cercle cosmique
La tradition liturgique millénaire montre clairement que la foi crue et célébrée dans l’Église est traversée par un lien inextricable qui unit Dieu, l’homme et le cosmos : “Les cercles cosmique et historique demeurent, malgré leur différence, en définitive le cercle unique de l’être : la liturgie historique du christianisme est et reste – sans séparation, ni confusion – cosmique, et c’est ainsi seulement qu’elle subsiste dans toute sa grandeur” (J. Ratzinger). Théo-logie, anthropo-logie et cosmo-logie se réalisent donc dans une unité symphonique qui trouve son expression dans l’“urgie”, dans l’action liturgique, qui habite le temps et l’espace, et donne forme, voix, son et geste à la matière du créé : “Il est digne et juste de te louer, de te bénir, de te glorifier, de te rendre grâces, à toi, l'auteur de toutes les créatures visibles et invisibles, le Seigneur et Dieu de toutes choses. Toi que chantent les cieux et les cieux des cieux et toutes leurs puissances, le soleil et la lune et tout le cortège des étoiles, la terre, la mer et tout ce qu'elle contient, la Jérusalem céleste, l'assemblée des élus, l'Église des premiers nés qui sont inscrits au ciel, les esprits des justes et des prophètes, les âmes des martyrs et des apôtres, les anges, les archanges, sans jamais cesser, en louant Dieu sans fin… ” (Anaphore de saint Jacques).
Le “faire” de l’homme, la “poétique” de l’architecture, est alors une activité responsoriale de la créativité humaine, en réponse à et en résonnance avec l’œuvre du Créateur qui, dans l’hexaméron, a fait du chaos informe un kosmos façonné “par le Christ et en vue de lui” (Col 1,16). Entre nature et culture, technique et inspiration, hybris de la tour de Babel et humilité de la Tente de la rencontre, entre initiative humaine et ordre divin, espace et temps, la construction apparaît ainsi comme un œuvre “dialogique” : dialogue entre la Sagesse éternelle et les habitants du temps, entre l’homme créé et le cosmos ; dialogue silencieux, sine voce, entre les fibres mêmes des éléments cosmiques ; entre résistance et soumission de la matière appelée à devenir diaphanie, à la recherche d’un lieu pour Dieu et pour l’homme. Projeter et construire apparaissent donc comme le prototype de cet agir humain qui place au sommet de l’édifice, comme sa clef de voûte, le Christ Cosmokrator et Pantokrator, lui qui, lorsqu’étaient posés les fondements de la terre, se trouvait auprès du Père comme un maître d’œuvre et se réjouissait sur le globe terrestre (cf. Pr 8,29-31).
Architecture et cosmos
Et tandis que l’Église en prière assume et transfigure le cosmos dans l’action liturgique, l’architecture, les arts et les sciences sont interpellés non seulement à propos des transformations qu’ils font subir à la création, mais aussi sur leurs propres statuts disciplinaires. Le sens du faire architectonique – avant même les architectures particulières, ou celles spécifiques au culte – interroge la culture de l’architecte appelé à discerner les racines profondes de son agir propre : les matériaux, les formes, les relations, les orientations et chaque aspect de la construction impliquent une référence à des sources “autres”, que le constructeur ne connaît que de manière limitée et temporaire, quelque avisé ou prévoyant qu’il soit (cf. Lc 14,28). Dans l’histoire de la culture architectonique, diverses tensions ont traversé les relations entre construction et contextes, considérés dans la dialectique bipolaire entre nature et anthropisation.
Le paysage est devenu le cadre, polysémique et interdisciplinaire, dans lequel les cultures dialoguent avec les expressions formelles de la nature, alors que la référence au milieu ambiant ou à l’écologie présuppose une attention aux composantes physiques de la nature elle-même : mais quel espace reste-t-il à la recherche de sens sur la nature comprise comme cosmos, ou comme créature ? Cet horizon croise-t-il, de quelque manière, l’activité architectonique, ou n’en est-il qu’un présupposé lointain, confié à la culture de l’architecte ? La réouverture d’un tel horizon cosmique peut-elle exercer une influence sur la composition, ou se traduit-elle seulement en instances éthiques ? Car on ne peut nier que l’attention aux ressources ne soit devenue un thème commun et toujours plus transculturel : mais, derrière les nécessaires instances d’épargne et de durabilité, ou de respect de l’authenticité des matériaux et des structures, pouvons-nous discerner des parcours plus profonds, capables de faire dialoguer les questions éthiques avec les choix formels ? La durabilité est un terme sur lequel se sont certainement basées des pratiques technico-opératives efficaces, moins certainement des éthiques partagées, mais probablement fort peu d’horizon de sens, de poétique ou de recherche formelle.
Au cours de ces dernières décennies, les Églises ont exploré des itinéraires de recherche destinés à faire dialoguer entre elles théologies de la création, éthiques de la durabilité et pratiques constructives. Quelques bribes de réflexion théologique se sont aussi orientées vers l’activité architectonique des Églises elles-mêmes : il est désormais acquis que la cohérence éthique doit innerver toute réalisation de nouveaux édifices de culte ainsi que la restauration de l’architecture ecclésiale historique, mais la marge paraît encore assez lâche quand il s’agit d’orienter cette attention vers uns recherche poétique. La protection de la création et la préoccupation pour la communauté se trouvent ainsi devant un double défi : rendre l’architecture cultuelle non seulement sobre, durable et respectueuse du milieu ambiant et du paysage, mais aussi signifiante dans un horizon de sens dans lequel l’esthétique liturgique sache s’enrichir d’une esthétique cosmique retrouvée.
Le Comité scientifique
ENZO BIANCHI (Bose), STEFANO RUSSO (Rome), EMANUELE BORSOTTI (Bose), GOFFREDO
BOSELLI (Bose), François Cassingena -Trévedy (Paris), ALBERT GERHARDS (Bonn),
ANGELO LAMERI (Rome), ANDREA LONGHI (Turin), KEITH PECKLERS (New York - Rome)