Conférence d'ouverture du prieur de Bose
2. Moïse et Élie, la Loi et les prophètes
Lorsque s'est réalisée la transfiguration de Jésus, d'une certaine manière « les cieux se sont ouverts » (voir Mc 1,10 et par.) et Moïse et Élie sont apparus qui s'entretenaient avec Jésus (voir Mc 9,4 et par.).
Moïse le législateur, c'est-à-dire la Loi, est nommé à plusieurs reprises dans les évangiles synoptiques en relation précisément avec la Loi (voir Mc 1,44; 7,10; etc.), mais ce n'est qu'ici qu'il apparaît directement. Sur la haute montagne du Sinaï-Horeb, Moïse avait été bénéficiaire de différentes théophanies, et en raison justement de son intimité avec Dieu il avait reçu aussi la luminosité du visage, dont les enfants d'Israël ne pouvaient soutenir la vue (voir Ex 34,29-35). Il était également le prophète attendu à la fin des jours, quand – selon le Poème des quatre nuits dans le Targum sur Ex 12,42 – il serait remonté du désert, tandis que le Roi Messie descendrait d'en-haut. Moïse était donc attendu pour les temps messianiques, quand le prophète semblable à lui aurait surgi, à qui devait s'adresser l'écoute du peuple saint d'Israël: « Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez » (Dt 18,15). Mais Moïse était encore celui qui avait prié Dieu: « Fais-moi voir ta gloire! » (Ex 33,18), recevant pour réponse de sa part: « L'homme ne peut voir ma gloire et vivre… Tu verras mon dos; mais ma face, on ne peut la voir » (Ex 33,20.23). Lors de l'événement de la transfiguration, Moïse est présent, vivant dans le monde de Dieu, et il voit finalement la gloire de Dieu, Jésus Christ, qui en cette heure apparaît comme « la gloire du Dieu invisible » (voir Hé 1,3), « le Seigneur de la gloire » (1Co 2,8), celui sur le visage de qui « brille la splendeur de la gloire de Dieu » (voir 2Co 4,6).
À côté de Moïse apparaît Élie, le prototype des prophètes, qui avait lui aussi gravi la montagne de Dieu pour recevoir une révélation dans « la voix d'un silence léger » (1R 19,12); il était lui aussi attendu à la fin des temps « avant que n'arrive le jour du Seigneur, grand et redoutable » (Ml 3,23) et que « pour ceux qui craignent le Nom du Seigneur se lève le “Soleil de justice”, avec la guérison dans ses rayons » (voir Ml 3,20; voir aussi Si 48,10-11). Élie représente et synthétise toute la prophétie de l'Ancien Testament, celle qui s'est refermée avec Jean-Baptiste, lui-même reconnu et identifié comme le « nouvel Élie » (voir Mt 11,14; 17,10), précurseur de Jésus dans la vie, dans la prédication du Royaume à venir, dans le témoignage et dans la mort violente.
Moïse et Élie, la Loi et les prophètes qui résument toute les Écritures d'Israël, le Premier Testament, sont aux côtés de Jésus comme témoins et interprètes. Et dans leur « entretien », dans cette manière de « parler ensemble » (synaleîn: voir Mc 9,4 et par.) avec Jésus, ils manifestent une authentique interprétation spirituelle en acte: Jésus est l'herméneute de la Loi et des prophètes, qui toujours, « commençant par Moïse et parcourant les prophètes, interprète dans toutes les Écritures ce qui le concerne » (voir Lc 24,27). Moïse et Élie, que Luc définit comme « deux hommes », sont ceux-là mêmes qu'on trouvera présents à côté du tombeau vide, qui interpréteront les mots dits par Jésus durant sa vie et le proclameront Crucifié-Ressuscité (voir Lc 24,4-7). Dans cette optique précise, Luc spécifie dans son récit de la transfiguration que Moïse et Élie « parlaient avec Jésus de son exode (élegon tèn éxodon autoû), qu'il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 9,31). Ainsi la Loi et les prophètes attestent la necessitas passionis de Jésus, ils l'indiquent comme le Serviteur du Seigneur qui doit passer à travers la kénosis et l'élévation; ils manifestent de cette manière la continuité de la foi entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance.
Les attentes messianiques d'Israël sont véritablement accomplies, et Jésus le Messie apparaît comme l'exégèse vivante et l'accomplissement authentique des Écritures. C'est avec cette conviction qu'Origène en arrive à commenter:
« Si l'on comprend et contemple le Fils de Dieu transfiguré au point que son visage est un soleil et ses vêtements blancs comme la lumière, on verra, contemplant Jésus sous cette forme, Moïse la Loi et Élie, qui n'est pas qu'un prophète isolé mais les représente tous, en conversation avec Jésus… Et si l'on a vu la gloire de Moïse, en ayant compris que la Loi spirituelle fait un avec la parole de Jésus, et si l'on a compris que dans les prophètes « la sagesse est cachée dans le mystère » (1Co 2,7), alors on a vu Moïse et Élie dans la gloire, en les voyant précisément avec Jésus » (Commentaire sur Matthieu XII,38,29-37.43-49 [sur Mt 17,2-3]).
Comment oublier la mosaïque de Saint-Apollinaire en Classe, à Ravenne, où de part et d'autre de la croix glorieuse se dressent Moïse et Élie, alors que trois brebis se tiennent sous la croix, représentant les trois témoins de la transfiguration? Dans cette mosaïque, Jésus est représenté par la croix, qui constitue le sujet de la conversation entre Moïse et Élie: il s'agit véritablement d'une interprétation figurative extraordinaire et hautement théologique!
C'est bien pour que cette vision devienne pleinement réalité que « Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: “Maître, il est heureux que nous soyons ici; faisons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie” » (Mc 9,5 et par.). Il croit peut-être qu'est arrivée la fin des temps? Pense-t-il aux tentes de la fête de Soukkot, si chargée de sens eschatologique? Pense-t-il élever pour Jésus, Moïse et Élie la tente de la rencontre dressée par Moïse pour rencontrer Dieu (voir Ex 33,7-11)? Quoi qu'il en soit, Pierre, Jacques et Jean « ne savent pas répondre » à cet événement, de même qu'ils ne sauront que répondre à l'heure du Géthsémani – notons que la même expression revient en Mc 8,6 (ou édei tí apokrithê) et 14,40 (ouk édeisan tí apokrithôsin)! –; ils sont pris d'épouvante devant la révélation dont ils sont les destinataires, tout comme le seront également les femmes au matin de Pâques (voir Mc 16,5.8).