Paternité spirituelle et monde contemporain
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Un autre vrai problème c’est la pénurie d’aumôniers dans les monastères féminins. On trouve à peine un prêtre moine qui célèbre les offices et l’Eucharistie dans ces monastères. Souvent pour la confession, les moniales appellent des hiéromoines plus âgés et plus expérimentés d’anciens monastères. C’est une situation anormale surtout, lorsqu’on pense qu’en Roumanie la confession précède chaque communion eucharistique. Ce qui fait que celle-ci est très rare. Ainsi les Pères spirituels qui pourraient assurer une vraie direction spirituelle manquent cruellement aujourd’hui. Beaucoup de moines, beaucoup de moniales sont en quête d’un Père spirituel, qu’on trouve à peine dans quelques monastères comme ceux de Techirghiol (le Père Arsenie Papacioc, âgé aujourd’hui de 94 ans, dont 14 passés dans les prisons communistes), de Sâmb?ta de Sus (le Père Teofil P?r?ian, âgé de 80 ans, aveugle depuis l’âge de 3 ans), de Petru Vod? (le Père Iustin Pârvu, âgé de 90 ans dont une dizaine dans les prisons communistes), de Fr?sinei (les Pères Paisie, Ioachim et Ioanichie) de Hu?i (le Père Mina Dobzeu, 87 ans dont plusieurs dans les prisons), de Putna (le Père Adrian F?ge?eanu 94 ans, passé lui aussi par les prisons communistes), de Rohia (le Père Serafim Man, 78 ans),de Laze?ti (le Père Rafael Noica, 68 ans), de Râme? (le Père Filotei, 65 ans), de C??iel (le Père Serafim B?dil?, 60 ans) et peut être encore quelques-uns uns. Une nouvelle génération de Pères spirituels naît à peine : au monastère de P?tr?u?i – Boto?ani (le Père Ioan Harpa, 40 ans), au monastère de Parva - Bistri?a (le Pére Paisie, 40 ans), au monastère d’Alba Iulia (le Père Ioan Cojan, 47 ans), au monastère de C?mârzani (le Père Ignatie Suciu, 38 ans), au monastère de Lainici (le Père Ioachim Pârvulescu, 41 ans). Je mentionne aussi une Mère spirituelle très connue et aimée aujourd’hui en Roumanie, la Mère Siluana du monastère de Jitianu (près de Craiova). Parmi les évêques, la plus grande réputation de Père spirituel a l’évêque vicaire de Cluj-Napoca, Vasile Some?anul (60 ans) qui reçoit la confesion non seulement des évêques, des prêtres et des moines mais également des fidèles dont beaucoup de jeunes.
Le ministère d’un Père spirituel est lié principalement à la confession des péchés, acte sacramentel pendant lequel le disciple ouvre son âme devant celui qui tient la place de Dieu pour recevoir non seulement le pardon des péchés mais également conseil dans le combat contre les démons qui agissent par les pensées mauvaises et pour la purification de passions lorsqu’on est assujetti au péché. Bien sûr l’exercice du Père spirituel ne se limite pas à l’acte sacramentel de la confession. La relation du fils au Père spirituel doit être constante; elle peut revêtir à tout instant un caractère sacramentel, en fonction de la disposition de l’âme de l’un comme de l’autre. Car dans toute relation, les deux doivent avoir l’humilité du Christ et être dans l’obéissance au même Esprit Saint par la prière.
Voici ce que dit le Père Sophrony de son saint starets Silouane : « Le Starets attachait une importance toute particulière à l’obéissance spirituelle envers l’Higoumène et le Père spirituel, la considérant comme un don de la grâce, comme un mystère sacramentel de l’Eglise.
Quant il s’approchait de son Père spirituel, il priait le Seigneur de lui faire miséricorde par l’intermédiaire de son serviteur, de lui révéler sa volonté et la voie qui mène au salut. Sachant que la première pensée qui naît dans l’âme par la prière est une indication donnée d’en haut, il quêtait la première parole de son Père spirituel, sa première allusion, et ne prolongeait pas d’avantage l’entretien. C’est là, la sagesse et le secret de la vraie obéissance dont le but est de connaître et d’accomplir la volonté de Dieu et non d’un homme. Une telle obéissance spirituelle, sans aucune objection ou résistance, non seulement exprimé, mais encore intérieure, non exprimée est, d’une manière générale, la condition « sine qua non » pour la réception de la tradition vivante ».
Et plus loin, le Père Sophrony nous montre comment se comporter avec son Père spirituel :
« Un disciple ou un pénitent avisé se comporte avec son Père spirituel de la manière suivante : en quelques mots, il lui expose sa pensée ou l’essentiel de son état, après quoi il se tait. De son côté, le confesseur qui, dés le début de l’entretien s’est mis en prière, demande à Dieu d’être éclairé par la grâce ; s’il perçoit dans son âme une « information », il donne sa réponse sur laquelle il convient de s’arrêter. Car si on laisse échapper la première parole du Père spirituel, la force du sacrement s’affaiblit également, et la confession risque de se transformer en une discussion humaine » (voir archimandrite Sophrony, Starets Silouane, moine du Mont Athos, Edition Présence, 1973, p. 78).
Aujourd’hui en Roumanie la pratique de la paternité spirituelle se réduit le plus souvent à la confession des péchés. Par nécessité pratique tous les prêtres moines et tous les prêtres de paroisse sont en même temps confesseurs. Ce n’est pas le cas en Grèce ou la formation théologique des prêtres est plus précaire qu’en Roumanie. Le Père Cléopa (+ 1998) recommande aux moines la confession hebdomadaire et la communion tous les quarante jours. Pour les plus fervents, il admet la communion une foi par semaine. Il faut aussi dire que dans presque tous les monastères, l’Eucharistie est célébrée chaque jour, mais le plus souvent sans qu’il y ait des communions. Dans les paroisses, les fidèles se confessent assez rarement : 1 à 4 fois l’an, c’est-à-dire dans les grands Carêmes. Beaucoup ne se confessent jamais. Selon la « tradition », chaque communion est précédée non seulement par la confession mais également par un jeûne alimentaire d’au mois trois jours. La pratique de la communion est donc rare tant dans les monastères que dans les paroisses. Depuis plusieurs années certains évêques et prêtres essayent d’encourager une communion plus fréquente.
L’accent mis sur la confession des péchés et beaucoup moins sur la communion eucharistique est assez spécifique au monachisme roumain. Tous nos grands spirituels insistent sur la confession et la pénitence pour les péchés comme étant l’essence même de la vie spirituelle, baptême des larmes ou deuxième baptême. Les canons des conciles de l’Eglise ou de certains Pères, comme saint Basile de Césarée ou Jean le Jeûneur concernant les épitimies pour les péchés sont assez connus mais très différemment appliqués. En général, les prêtres moines sont beaucoup plus exigent que les prêtres de paroisse. Il y a aussi des extrêmes : pour le même péché grave (avortement, par exemple) un prêtre moines peut interdire la communion eucharistique pour 7 ans ou même plus, tandis qu’un prêtre de paroisse donne comme épitimie d’allumer 40 cierges ! Les fidèles aiment se confesser dans les monastères, mai souvent ils sont chargés d’épitimies qu’ils ne peuvent pas accomplir, telles : le jeûne total de mercredi et vendredi, l’abstinence conjugale pendant les jours de jeûne et les longues Carêmes, des nombreuses métanies (génuflexions), lecture des Acatistes ou d’autres prières… Le Père Dumitru St?niloae (+ 1993), recommande dans sa «Dogmatique » la modération en ce qui concerne les épitimies. Il est de l’avis qu’aujourd’hui on ne doit pas interdire la communion plus de trois ans aux pénitents qui se repentent vraiment de leurs péchés.
Dans le même sens s’exprime aussi le Père Cleopa : « Avec ceux qui ont commis des péchés mortels et insistent de communier le plutôt possible, voici comment procéder : S’ils se confessent avec componction, les larmes et un grand regret pour les péchés commis, le confesseur qui leur a interdit la sainte communion pour un certain temps, conformément aux saints canons, peut procéder par iconomie de la manière suivante : Il doit diviser l’épitimie et le nombre d’années de pénitence prévues par les saints canons en trois : Il mettra une partie de l’épitimie sur la miséricorde et l’amour pour les hommes de notre Dieu, car personne n’est sans péchés ; une deuxième partie reviendra au pénitent et la troisième au confesseur lui-même, car il détient de son évêque le pouvoir de lier et de délier selon l’inébranlable promesse de notre Seigneur Jésus Christ » (Hierom. Ioanichie B?lan, Convorbiri duhovnice?ti, Hu?i, 1984, p 60).
Tout cela ne diminue pas l’importance de la pénitence et de l’ascèse qui sont au cœur même de la spiritualité orthodoxe. Il est impossible de se libérer du péché et d’autant plus d’une passion mauvaise sans une lutte acharnée dont les mayens sont justement la pénitence et l’ascèse sous ses multiples aspects : la prière, le jeûne, les génuflexions, les stations début, la modération en tout, l’obéissance qui est selon les Pères, au-dessus même de la prière et du jeûne. Un adage de la tradition ascétique dit : « Donne ton sang et reçoit l’Esprit » Ce n’est pas du pélagianisme ! Car les moines sont aussi conscients que « tout est grâce». Mais ce n’est que par l’ascèse que notre être : corps, âme et esprit devient sensible, s’ouvre à l’action de la grâce.
Malgré le manque de Pères spirituels expérimentés, Saint Silouane l’Athonite nous conseille d’appeler en toute circonstance à un Prêtre, même s’il n’a pas une expérience convenable. « Tous nos malheurs proviennent de ce que nous ne demandons pas conseil aux anciens qui ont été établis pour nous guider, et que, de leur côté, les pasteurs ne demandent pas au Seigneur comment ils doivent agir » (p 366).
« Si le père spirituel n’a pas passé lui-même par l’expérience de la prière, interroge-le tout de même, et pour ton humilité, le Seigneur aura pitié de toi et te guidera de toute erreur. Mais si tu te dis : « Ce père spirituel doit être inexpérimenté, car il est trop affairé, je vais me diriger moi-même à l’aide des livres, tu es sur une voie dangereuse et au seuil de l’illusion spirituelle ». (p 368-369).
Je voudrais aborder aussi, en passant, l’attitude de quelques Pères spirituels que j’ai connu face à l’œcuménisme. Comme vous le savez, les moines du mont Athos sont en général anti-œcuméniques car ils voient dans le dialogue œcuménique une sorte de marchandise avec la vérité confessée par l’Eglise Orthodoxe. L’influence du mont Athos est très forte dans tous les pays majoritairement orthodoxes où il y a des milieux anti-œcuméniques parfois très agressifs. La Roumanie ne fait pas exception. L’anti-œcuménisme, tel qu’il se manifeste aujourd’hui, est une forme de fanatisme religieux. Car personne dans la hiérarchie orthodoxe n’admet pas le compromis en matière de la foi. Or le fanatisme religieux est une négation de la religion elle-même. C’est pourquoi je ne peux pas m’imaginer une orthodoxie fanatique, militante, révolutionnaire, bien qu’elle ait défendue au cours de l’histoire la vérité évangélique aux prix d’innombrables souffrances et martyrs. Par contre, je voudrais voir une Orthodoxie missionnaire, ouverte, souple, capable de témoigner de sa richesse mystique.